Le Lion de saint Marc

Symbole religieux, emblème de noblesse et de force

Durant la Sérénissime République de Venise, le Lion a été représenté un peu partout : sous forme lapidaire (sculptures, hauts-reliefs, bas-reliefs), ou bien sur des fresques, des peintures, des enluminures, pour orner des colonnes, sur des monnaies, des drapeaux, des pavillons de navire... Il est omniprésent, et il nous observe avec majesté :
- D'expression sereine, aimable ou sévère,
- Il est dressé sur ses pattes, ou sortant des eaux,
- Tête tournée vers la gauche, ou vers la droite,
- Parfois auréolé, parfois couronné, parfois brandissant une épée,
- Il pose une noble patte sur la Bible, le livre est parfois fermé, parfois ouvert (mais il peut être absent),
- Parfois avec un jumeau il accompagne Venise représentée comme la Justice...


Petit rappel chronologique

Fuyant les hordes barbares qui pillaient et incendiaient tout sur leur passage, les populations de Vénétie trouvèrent refuge dans les iles sauvages de la lagune. Ainsi naquit Venise, selon la tradition en 421 de notre ère. Venise tissa des liens commerciaux étroits avec Byzance. L'empereur byzantin avait choisi le patron de la ville : saint Théodore. Avec le temps, Venise voulut affirmer sa volonté d'indépendance (religieuse, politique) et montrer sa puissance. Par défi, elle se choisit un autre protecteur : en 832 on ramena d'Egypte le corps de saint Marc et on l'enterra dans la Basilique en grande solemnité. En s'appropriant ces reliques, Venise affichait son ambition d'être considérée comme l'une des plus importantes cités de la Chrétienté, et l'égale de Rome.
...
1082 : Constantinople octroie d'importants privilèges commerciaux à Venise.
1204 : Venise détourne la 4ème croisade sur Constantinople et s'assure des principales escales sur les routes du Levant.
1204-1453 : apogée de Venise qui contrôle les côtes de l'Adriatique et les routes méditérranéennes.
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L'arrivée des voyageurs à Venise se faisait par la mer, et donc essentiellement par la Piazzetta près de laquelle s'arrêtaient les navires. Ce portail d'entrée est matérialisé par deux colonnes : l'une est surmontée de la statue de saint Théodore, flanqué d'un monstre (plutôt un crocodile) dompté par le saint ; la seconde porte l'emblème de la cité : le lion ailé.
Légende de saint Marc...

Pax tibi Marce Evangelista meus (Que la paix soit avec toi, Marc, mon évangéliste) : telles sont les paroles qu'aurait adressées un ange à saint Marc lors de son supposé passage dans la lagune, annonçant ainsi au saint qu'il goûterait le repos éternel dans la cité vénète. Le vol de la dépouille du saint, en 832, s'en trouva justifié : il n'était que l'accomplissement de la prédiction divine.

Saint Marc a écrit le deuxième Evangile, probablement alors qu’il était à Rome, quelque temps avant l’an 60 de notre ère. La Tradition dit que les Romains demandèrent à saint Marc de mettre par écrit les enseignements de saint Pierre. Cela semble être confirmé par la position que saint Pierre a dans ses écrits. Dans cette optique, le deuxième Evangile est une transcription de la vie de Jésus, vue par les yeux du Prince des Apôtres.


L’Apôtre Pierre avait un disciple, qu’il appelle "mon fils Marc". Papias, écrivain du tout début du 2ème siècle, en décrivant les origines des Evangiles, nous dit que Marc était "l’interprète" de Pierre, et qu’il écrivit les histoires qu’il avait entendu dire par Pierre durant ses prêches sur la vie et les enseignements de Jésus... Saint Pierre et saint Marc s’en allèrent évangéliser, et une nuit, Pierre eut un songe dans lequel il lui fut dit d’aller, avec Marc, à Rome et à Alexandrie. Après avoir prêché à Rome pendant quelque temps, Marc vint en Egypte et fit de nombreuses conversions à la foi chrétienne dans la campagne. Puis laissant là une petite communauté de chrétiens, il vint à Alexandrie. Dès qu’il entra dans la cité, sa sandale se rompit. Il l’apporta à un savetier, nommé Anianus, qui devint le premier converti à Alexandrie. Marc découvrit bientôt qu’il était recherché par ses ennemis, alors il nomma Anianus évêque, ordonna 3 prêtres et 7 diacres et, les quittant avec l’injonction de servir et de réconforter les frères dans la foi, il quitta la cité. Plusieurs années plus tard, il retourna dans la communauté qu’il avait laissée, qui avait grandi et prospéré, mais ses ennemis le découvrirent bientôt et l’envoyèrent en prison. Le lendemain, ils lui mirent une corde autour du cou et le traînèrent sur le sol jusqu’à ce qu’il meure. Comme les païens voulaient le brûler, soudain l'air se trouble, le tonnerre gronde, les éclairs brillent, tout le monde s'empresse de fuir, et le corps du saint reste intact. On peut lire, dans d'autres textes, que le feu du bûcher a fait son oeuvre. Bref, les chrétiens récupèrent son corps et l’ensevelissent avec révérence dans l’église qu’il avait construite. Saint Marc est révéré comme le fondateur et le premier martyr de l’église chrétienne en Egypte.

Après sa mort, les miracles en son nom sont légion

Du temps de l'empereur Léon, des Vénitiens transportèrent le corps de saint Marc, d'Alexandrie à Venise, où fut élevée, en l'honneur du saint, une église d'une merveilleuse beauté. Des marchands vénitiens, étant allés à Alexandrie, firent tant par dons et par promesses auprès de deux prêtres, gardiens du corps de saint Marc, que ceux-ci le laissèrent enlever en cachette et emporter à Venise. (En fait, les chrétiens étant alors menacés et persécutés, les gardiens remirent la relique craignant de la perdre si la situation venait à s'envenimer davantage). Mais comme on levait le corps du tombeau, une odeur si pénétrante se répandit dans Alexandrie que tout le monde s'émerveillait d'où pouvait venir une pareille suavité. Or, comme les marchands étaient en pleine mer, ils découvrirent aux navires qui allaient de conserve avec eux qu'ils portaient le corps de saint Marc. Un des marins dit : "C'est problablement le corps de quelque Egyptien que l'on vous a donné, et vous pensez emporter le corps de saint Marc". Aussitôt le navire qui portait le corps de saint Marc vira de bord avec une merveilleuse célérité; et, se heurtant contre le navire où se trouvait celui qui venait de parler, il en brisa un côté. Il ne s'éloigna point avant que tous ceux qui le montaient n'eussent acclamé qu'ils croyaient que le corps de saint Marc s'y trouvât.

Les Eglises Romaines et Grecques célèbrent la fête de saint Marc le 25 avril. Il est le saint patron des notaires.

Ezechiel
Le lion, une des quatre créatures ailées apparues au prophète Ezechiel, était tenu pour le signe de l'évangéliste saint Marc. En se plaçant sour la protection du saint, Venise adopte son symbole pour emblème : la République s'assure ainsi un fondement sacré.
Dans le livre des Révélations, le visionnaire voit, autour du trône de Dieu, 4 créatures ailées : un lion, un taureau, un homme et un aigle. Il est communément admis qu’ils représentent les 4 Evangiles, ou les 4 Evangélistes. L’homme représente Matthieu, dont la narration commence avec la généalogie humaine de Jésus ; le lion représente Marc, dont la narration commence par Jean-Baptiste criant dans le désert (le Précurseur vit "à côté" des lions et un lion rugit dans le désert) ; le taureau, animal de sacrifice, représente Luc, dont la narration commence dans le Temple ; et l’aigle représente Jean, dont la narration commence au Ciel, avec le Verbe éternel.
...Je vis donc, et voici un vent de tempête qui venait de l'Aquilon, et une grosse nuée, et un feu s'entortillant, et il y avait autour de la nuée une splendeur... Et au milieu paraissait une ressemblance de quatre animaux ; et c'était ici leur forme : ils avaient la ressemblance d'un homme... Et chacun d'eux avait quatre faces, et chacun quatre ailes... Et la ressemblance de leurs faces était la face d'un homme, et la face d'un lion, et la face d'un boeuf, et la face d'un aigle... Et leur regard était comme des charbons de feu ardent, et comme qui verrait des lampes... ...Et la parole de l'Eternel me fut adressée... (Ancien Testament - 1837)


Les modes de représentation du Lion

Ce sont les suivants :

Andante (ou passante ou gradiente). Le lion pose parfois deux pattes sur l'eau, deux autres sur le sol, pour symboliser la souveraineté de Venise sur la mer et la terre.

In maesta (ou in moleca - in moeca). L'expression "in moleca", typique du dialecte vénète, dérive d'un petit crabe commun, présent sur les bancs sableux (Cancer Moenas) qui, lorsqu'il change de carapace (son dos est mou), est alors dénommé "moleca". Il incarne, dans sa position hiératique, la majesté de l'Etat.

Il existe une troisième manière, rarissime, celle du Leone Rampante (celui représenté ici est de Chioggia).

Pour certains, représenté avec la Bible - livre de la Sagesse - ouverte, accompagnée de la prédiction faite à saint Marc "Pax tibi Marce Evangelista meus", il indique la paix assurée par Venise à ses territoires.

Selon d 'autres, dans les deux représentations (passante et in maesta), le Livre est tenu à gauche et il est fermé dans les représentations plus anciennes. C'est seulement dans la seconde moitié du 14ème siècle que le livre tend à s'ouvrir. On doit tenir pour infondée la théorie très répandue, selon laquelle le livre ouvert signifie la paix et le livre fermé la guerre. On dit aussi que la théorie du livre fermé est celle en usage dans les lieux frontaliers et en danger.
En réalité, le livre toujours fermé et parfois avec les fermoirs bien visibles était la norme jusqu'à la 2ème moitiè du 14ème siècle, c'est-à-dire durant toute la période gothique.
A partir de la Renaissance, à l'inverse, le livre est plus souvent ouvert, portant la phrase consacrée "Pax Tibi Marce, Evangelista Meus" (ou d'autres inscriptions : Forteria leoni...).


Bibliographie :
- Hachette - Venise et la Vénétie
- Gallimard - Venise
- Flammarion - La Légende Dorée de J. de Voragine
- Alberto Rizzi - I leoni di San Marco (Arsenal Edtirice) - I leoni di San Marco in Istria (Signum Editrice) - sans parler de Leoni di Montagna et Leoni in Dalmazia
- Le Lion de Venise (Albrizzi Editore)

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